Le meilleur moyen d’échapper à la pression familiale, c’était de s'éclipser avant le réveil commun des Yuki. Karma n’avait jamais compris ce délire. Tous se lever en même temps. Tous s’entraîner en même temps. Déjeuner ensemble. Un peu d’indépendance semblait être la pire des d’idées. Quoi qu’il en soit le jeune Genin s’était faxé hors de son lit, avait récupéré ses affaires -oubliant au passage l’éternelle étoffe rouge du clan- et s’était glissé hors de sa chambre par la fenêtre. Non pas que l’idée de s’entraîner lui paraissait saugrenue, simplement il ne tenait pas à se prendre une énième branlée de sa propre famille.

Après avoir longuement hésité, le gamin s’était finalement décidé pour les terrains d’entraînement. Remplir son estomac viendrait ensuite. Comme quoi, même en tentant d’y échapper Karma s’était fait endoctriner dans la routine du clan. Les lieux semblaient à priori désert. Du moins le Yuki n’eut pas la force de faire le tour pour s’en assurer : parce qu’au fond, il s’en moquait bien. La fraîcheur matinale était idéale pour favoriser ses capacités héréditaires, mais un petit échauffement semblait néanmoins de rigueur. La forme physique restait primordiale pour un ninja. Même pour un incapable au taijutsu comme Karma. Finalement la journée semblait plutôt bien débuter. Du calme, de l’espace, … et des ennuis en provenance du Nord. Tel un lapin en quête de son chasseur, une jeune femme se présenta devant le Yuki.

▬ Pard …

Pas le temps. Si ses cheveux semblaient masquer le signe distinctif des Kaguya, Karma identifia son aînée très rapidement : des lames d’os ça ne courrait pas les rues chez les badauds ! Pourquoi ? Comment ? Dans quel intérêt ? Tant de questions que le Yuki n’eut pas le temps de se poser. La lame d’os fouettait l’air avec habileté et rapidité, bien que Karma sentait une légère retenue chez la demoiselle. Elle avait décidé de s’amuser. Tous les Kaguya sont-ils aussi cinglés ? Pourquoi fallait-il que ça tombe sur sa pomme ? D’autant que leur style de combat ne s’accommodait pas du tout à celui du Genin : le corps à corps était bien sa plus grande faiblesse. Il s’étonna d’ailleurs ne pas encore avoir été découpé en tranche.

La raison dictait à Karma de s’excuser, de s’étaler, de fuir. Mais son instinct lui susurrait qu’elle ne lui en laisserait pas la possibilité. Si son regard se voulait plein d’assurance, le Yuki laissa l’inquiétude prendre le pas sur ses choix. C’est donc avec une légère surprise qu’il sentit l’air se rallier à ses côtés pour cracher un vent glacial au visage de la Kaguya. Il n’alla pas jusqu’à espérer pouvoir la repousser, mais cette courte diversion lui permit de prendre un peu de recul. Karma se sentait déjà moins oppressé. Comme en sécurité. Et cette idée erronée le terrifia.

▬ Navré, je suis un très mauvais danseur, j’ai bien peur de vous ennuyer.

Tenter la dissuasion, pas sûr du résultat escompté. Déjà essoufflé par les quelques esquives qui l’avaient mis à mal, Karma se sentit écrasé sous le poids de son infériorité. Il allait falloir redoubler d’effort pour combler ses lacunes et développer davantage de techniques. Contre-attaquer ou patienter, il n’arrivait pas à faire un choix. Seul un fou oserait mener la charge contre un membre du clan Kaguya. D’un coup d’oeil bref il remarqua que ses doigts s’activaient déjà, prêts à réagir, même avec une longueur de retard. Pas par anticipation, mais bel et bien par insécurité.

Un coup dans l’eau comme on dit. La crise d’éternuements laissa Karma de marbre, qui n’en profita nullement pour riposter. Prudence, lâcheté ou manque d’expérience. Il se concentrerait sur cette erreur plus tard. S’il survivait. Car visiblement la Kaguya avait jeté son dévolu sur le Genin. Cette danse macabre ne finirait-elle jamais ? Il avait tendu le bâton, elle l’avait saisi à bras le corps. N’avait-il pas pu se contenter d’un non merci plutôt que de donner des raisons supplémentaires à son assaillante de revenir à la charge ? A nouveau Karma se retrouva pris dans les mouvements agressifs de sa compatriote. L’esquive n’avait jamais été son fort, et il peinait à tenir la cadence. Il ne sut saisir aucune opportunité, et son piètre niveau ne cessait de lui revenir à la figure. Il se serait lamenté sur son sort s’il en avait eu le temps.

Si jusque là il s’était senti protégé par l’idée qu’un meurtre (car oui, appelons un chat un chat) risquait de créer davantage de tensions au sein du village, et donc ne pouvait avoir court, il commençait à en douter. Et d’ailleurs la Kaguya avait été claire à ce sujet. Visiblement l’envie d’apaisement de la Mizukage n’était pas ancrée dans toutes les mentalités. Jamais plus il ne viendrait si tôt sur les terrains d’entraînement, la leçon était passée. Plus par instinct de survie que par réelle détermination, le Yuki tenta la technique qu’il maîtrisait le mieux, qu’il appréciait le plus : les hirondelles. Rares animaux que le Genin portait dans son coeur. Des alliées. Karma n’était pas dupe : ce n’était pas son talent qui lui avait permis d’exercer son jutsu, simplement la pitié qu’il inspirait à cette femme. Deux petits piafs se matérialisèrent et partirent en quête de la carnassière, bien décidées à en découdre.

A bout de souffle, Karma ne se faisait pas d’illusion : deux morceaux de glace contre un os bien solide, ça ne ferait pas long feu. Et pourtant il n’avait rien à ajouter de plus. Ses jambes lui suggérèrent de tenter un marathon, tandis que son coeur le menaçait d’exploser dans sa poitrine. Et son cerveau lui envoyait des images de son propre corps empalé par un radius de taille plus que douteuse. Il haussa donc les épaules. Déjà 17 ans, trois techniques à son actif, et aucun moyen de tenir tête à une femme remontée. La honte du village.

▬ Navré, je n’ai que ça en réserve. Pas de quoi lutter contre de l'ostéogénèse. Vous êtes tombée sur le moins doué de mon clan, c’est pas de chance.

Pas de chance pour toi, Karma. Mais tu vas progresser, tu y tiens. D’ailleurs …

▬ C’est pas faute de s’exercer. D’ailleurs j’espère être un jour capable de manier une lame aussi adroitement que vous maîtrisez vos propres os.

Du blabla, oui, mais sincère. Tout en prononçant ces quelques mots, une idée germa soudain dans l’esprit du Yuki. Un éventuel plan B, une tentative folle pour tenter de mourir avec un minimum d’honneur. “Il a fait ce qu’il a pu” plutôt qu’un “destiné à être piétiné” sur son épitaphe. Encore que Karma ne se voyait pas duper une Kaguya. Mais les manuels disent souvent que la frénésie au combat adoucie parfois les sens, alors sait-on jamais ...

Cette femme était bien plus glaciale que le Yuki. Il l’observa se faire lacérer par les deux hirondelles maladroites, sans réellement saisir. Esquiver une attaque de si faible niveau aurait dû être un jeu d’enfant pour son adversaire, alors pourquoi se laisser atteindre ? Karma se sentait comme une souris prise au piège par un chat, victime d’une pièce dirigée par le félin. Restait à espérer qu’à l’inverse de celui-ci, la Kaguya ne finirait pas par baisser le rideau sur la dépouille du Genin. Les mots de la jeune femme lui tournèrent en tête. Des années pour maîtriser son héritage ? Karma n’avait pas hérité d’un quelconque don pour le maniement des armes blanches. Devait-il donc multiplier davantage ce premier calcul ? Il aurait voulu se détendre, se relâcher. Mais son corps refusait obstinément. Que ce soit par ce qu’elle dégageait ou par instinct de survie, le jeune Yuki restait tendu.

Satisfaisant ? Non. Karma n’y avait pris aucun plaisir, et pour cause. Il tenta d’esquisser un sourire, qui sous sa nervosité devait surtout ressembler à une grimace.

▬ Vous trouveriez ça satisfaisant si vos adversaires se tranchaient eux-mêmes la gorge pour échapper à vos “danses” ?

Oups. Karma ne s’était pas voulu provocateur, pourtant l’intonation qui était ressortie n’était pas celle désirée. Car en soit, c’était ce qu’il s’était passé : la Kaguya s’était laissée faire. Il aurait bien aimé s’en aller, Karma. Rejoindre la demeure familiale, se faire écraser par quelques cousins, prendre un bain chaud et reprendre sa petite vie tranquille. Mais l’ombre menaçante de la Kaguya ne lui laisserait aucun répis. C’était d’ailleurs acté. Il observa la main de cette dernière se redresser, sans réellement comprendre. Dommage. S’il avait pris le temps de s’intéresser aux autres, d’observer ses camarades, peut-être aurait-il pu comprendre, anticiper. Mais non. Les Kaguya manipulent leurs os, voilà la seule donnée que Karma connaît. Et ils sont un tantinet sadique et fou, aussi.

La première phalange vint caresser sa joue d’albâtre, sans que le Yuki ne l’ai même vu arriver. La chaleur se diffusa dans sa joue, avant de devenir une douleur acérée. Douce, mais amère. Jamais il ne s’en sortirait. La frustration commençait à croître dans les yeux du Genin. Aucune technique ne lui permettrait d’esquiver ces attaques là, il devrait donc encaisser. En plus de contre-attaquer. Encore qu’il s’estimait chanceux d’avoir user de ces jutsus dans le bon ordre. D’autres salves allaient arriver, il n’avait qu’un court temps d’action. Se protégeant le visage avec les avant-bras, le Yuki se concentra du mieux qu’il pu.

Il en aurait voulu 4, 5, 6 ! Mais seules deux semblaient se matérialiser à quelques mètres derrière la Kaguya. Le tas de neige laissé par son Vent polaire lui faciliterait la tâche. Au lieu de créer de A à Z, il lui suffirait de remodeler. Pourtant l’assaut de son adversaire l’empêchait de se concentrer pleinement. Il observa les deux aiguilles prendre forme, et leur hurla intimement de s’élancer. Sans la moindre précision. Avec une cible floue. Les deux aiguilles de glace suffiraient-elles à dissuader la Kaguya de poursuivre ?