Karma avait reçu du courrier. Un courrier. Une missive. Il l’avait appris de manière assez bruyante, puisque sa mère avait beuglé à travers toute la maison, prête à lui congeler la cervelle qu’il n’avait apparemment pas. Le jeune Yuki en avait frissonné d’avance : se rendre et subir le courroux, ou tâcher de s’esquiver et risquer la double peine ? Et finalement le don s’était radouci, ce qui n’avait pas rassuré Karma pour autant. La voix mielleuse, il l’a redoute tout autant que les cris stridents. Prenant son courage à deux mains, le Genin avait finalement consenti à descendre de son refuge pour avoir davantage de détails. Le visage de sa mère restait insondable. Colère vive ou satisfaction intense, il n’aurait su dire. En tout cas les paroles qu’elle laissa échapper étaient plus terne que le ciel de ce jour.

Non, le Yuki ne serait pas écartelé sur la place publique. Ni envoyé dans une mission des plus brillantes au-delà des frontières du village. On ne l’accusait pas d’avoir congelé l’un des jeunes du clan Shizu (qui a des preuves ?). On lui assignait une équipe. Ou plutôt, il était assigné à quelqu’un. Karma tendit la main pour récupérer le parchemin, que sa mère garda jalousement. Pourquoi l’empêcher de voir le contenu ? Le Jonin en charge de son équipe était-il si terrible, ou à l’inverse si pitoyable ? C’est donc sans plus d’informations que Karma partit se coucher, songeur. La nouvelle l’avait dabord laissé de marbre. Une équipe, bien. C’était dans l’ordre naturel des choses.

Puis les réflexions c’étaient enchainées tel un mantra entêtant. Qui serait son instructeur ? Comment serait-il ? Pourrait-il l’aider à progresser ? A développer de nouvelles aptitudes ? Allait-il se prendre des branlées à répétition ? Survivrait-il à l’expérience ? Aurait-il des camarades ? Comment se passerait leur rencontre ? Pouvait-il se faire virer si ses compétences ou sa personne ne satisfaisait pas le Jonin ? Karma soupira à nouveau. Trop d’idées pour une seule soirée. Et finalement, il sombra dans un sommeil sans rêve.

Le jeune Yuki parvint néanmoins à tirer quelques vers du nez de sa mère : le lieu et l’heure du rendez-vous. Karma s’était préparé rapidement, et avait tenté de sortir sans se faire attraper. Loupé. Examen minutieux de la tenue, bourrasque de rappel concernant l’éternel bandeau rouge des Yuki … et finalement il pu s’en s’aller. Ce fichu tissu se logeait systématiquement au mauvais endroit, quand il ne se détachait pas pour se perdre à droite à gauche. Un symbole de fierté, que Karma peinait à estimer. Suffisamment loin de chez lui, il le détacha de son bras pour le fourrer dans son pantalon, ne laissant dépasser qu’un maigre morceau d’étoffe. Tout serait beaucoup plus simple s’il pouvait conserver le nom de son paternel.

Karma parvint sur le terrain à l’heure, mais moins en avance qu’il l’aurait souhaité. Il aurait du prévoir le passage sous les mirettes attentives de sa mère. Même adulte elle ne le lâcherait pas ! Le Yuki se mit à observer les lieux, anxieux à l’idée d’être le dernier arrivé. D’autant que sans les informations que sa mère avait gardé pour elle, débusquer son équipe ne risquait pas d’être chose aisée. Il repéra un garçon un peu plus loin, aux prises avec un gros chien. Ou un loup. Parfait, lui qui adore les animaux ! D’autant que cette bête-là n’a pas l’air commode. Le garçon qui l’accompagne gaiement ne lui dit rien. Peut-être que Karma aurait dû être plus attentif aux jeunes pousses de son village. Car celui-ci semblait bien plus jeune.

Le Yuki s’avança à sa rencontre sans quitter l’animal des yeux, prêt à dégainer.

▬ Bonjour, excuse-moi, tu es matinal ou toi aussi tu as été convoqué ?

Entrée en matière des plus professionnelles. Karma en profita pour mieux scruter son interlocuteur. Ses cheveux auraient pu le lier à son propre clan, mais Karma ne le reconnaissait pas. En revanche sa proximité avec le loup lui donna quelques indices. Faire équipe avec un invocateur de loup, un réel plaisir pour quelqu’un qui craint les bêtes !

Décidément, la jeune pousse était bien mieux renseigné sur Karma qu’il ne l’était lui-même sur son interlocuteur. Il ne put cacher sa surprise à l’écoute de son propre nom. Kazuo. Faire un effort pour retenir le prénom de celui qui allait être - non, qui était déjà - son coéquipier. Et faire abstraction de l’animal qui se trouvait à ses côtés. Kazuo semblait bien plus jeune, et pourtant bien plus dégourdi et talentueux que Karma. Son corps se raidit en écoutant la suite. Pas le premier Yuki ? Qu’est-ce que ses semblables avaient bien pu faire à ce gosse aux airs bestiaux ? Il se décrispa cependant en constatant que Kazuo ne semblait jamais perdre son sourire. Le Genin sembla s’apercevoir que son introduction était loin d’être aussi chaleureuse que celle du Jigoku, aussi tenta-t-il maladroitement de rectifier le tir.

▬ Disons que l’humour n’est pas un trait dominant chez les Yuki. Mais je tâcherai de faire des efforts !

Au même moment, une silhouette se détacha d’un arbre à proximité. Un Jonin ? LE Jonin ? Karma prit le temps de l’observer. Sans rien en tirer. Pas une étincelle dans le regard. Pas un mot plus haut que l’autre. Le Yuki ne su pas vraiment quoi en penser. Il eut cependant l’impression que le nom du nouvel arrivant aurait dû lui dire quelque chose. En vain. Décidément, Karma avait beau y mettre tous les efforts du monde, la mémoire des noms n’était pas son fort. Le Genin prit soin d’écouter les paroles de l’Ikezawa, sans y trouver d’objections. Encore que Karma espérait ardemment avoir gagné un enseignant et non une nounou. Il réfléchit un instant à de sages paroles, mais Kazuo le devança. Ou plutôt sa louve, dont le grognement fit sursauter le Yuki. La voix de son comparse lui fit reprendre contenance.

Ou presque. Troisième sensei ? Que s’était-il passé ? La louve les avait croqué ? Kazuo n’avait pas été à la hauteur ? Étaient-ils morts en mission ? Le sujet méritait réflexion, aussi Karma s’efforça de l’ancrer dans sa mémoire défaillante, histoire de remettre la chose sur le tapis au moment opportun. Karma espérait cependant briser cette malédiction. Le trait d’humour du Jigoku laissa cependant Karma songeur. Si le gamin ne l’avait pas mangé, rien ne garantissait que la louve ne l’avait pas fait. Kazuo semblait s’enfoncer dans ses pérégrinations, et le Yuki décida de lui tendre une corde de sortie.

▬ Je pense que Kazuo se pose la même question que moi : vous nous parlez de légitimité et de compétences, d’un rôle de “gardien” mais … qu’en est-il de celui d’enseignant ? Au-delà de l’aspect disciplinaire et de l’expérience, j’aimerai savoir ce que vous planifiez de nous apprendre.

Il regretta presque aussitôt ses mots. Des questions, Karma en avait à la pelle. Et il craignait déjà que la réponse ne soit pas verbale mais physique : peut-être que la politesse serait leur premier enseignement ? Il ne s’était pas montré spécialement provocateur, mais le Genin avait apprit à ses dépends que les questions peuvent être interprétées de différentes manières. Restait à espérer qu’il n’avait pas jeté un pavé dans l’eau.

Autant dire qu’ils étaient mal barrés. Que pouvez-vous faire ensemble ? L’idée que Karma puisse faire équipe avec les loups du Jigoku lui fila aussitôt la nausée. Combattre aux côtés d’un animal, autant dire que c’était impossible. Encore que ça restait toujours plus envisageable que de stopper le Jonin. Le simple niveau de leur supérieur avait noyé tout espoir chez le Yuki, mais la démonstration le laissa encore plus au fond du seau : l’Ikezawa semblait aussi insaisissable que le vent. Il aurait voulu rentrer chez lui, lâcher l’affaire et se mettre à vendre du poisson dans une pagode bancale histoire de cacher sa nullité. Mais cela reviendrait à condamner par la même occasion son camarade. Et de toute façon, cet avenir n’était pas envisageable. Il commença donc à réfléchir, sans oser demander plus d’informations à Kazuo. Découvrir qu’il planquait une meute sous ses vêtements ne ferait qu’accentuer son mal être.

Et puis finalement, à quoi bon réfléchir ? Sans pouvoir en placer une, Karma observa le plus jeune invoquer un autre monstre, avant de foncer dans le tas, tout simplement. Le Yuki en resta bouche bée. “Toi tu le bloques”. Tu te démerdes, tu le bloques. En soit l’idée n’était pas si mauvaise, encore qu’un petit détail jetait une poussière dans le rouage : Karma était loin de pouvoir bloquer qui que ce soit. Son répertoire de jutsu étant très limité, il en eut vite fait le tour. Trois techniques, aucune ne correspondant à la situation actuelle. Car visiblement Kazuo comptait sur sa maîtrise de la glace. Et Karma en était encore à la découverte de son don, malgré son âge avancé. Autant dire que le Jigoku allait se prendre une belle branlée et une grosse désillusion.

▬ Je n’ai aucun jutsu correspondant Kazuo, reviens ici tu vas te faire laminer !

Comme si l’avertir pourrait changer grand chose. Et à quoi bon lancer une attaque dans le vent ? Sans cible inerte il risquait de blesser son coéquipier. En terme d’échange on avait vu mieux. Penaud et sans solution apparente, le Yuki se prépara mentalement à la journée de paralysie promise par leur Jonin.